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 TEXTOS > BRUNELLA ERULI > 01
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La marionnette:
paroles, bruits, musique

Brunella Eruli

Le problème de la voix de la marionnette est un des problèmes fondamentaux pour tous ceux qui approchent cette forme, parce que ce problème indique bien ces mélanges étranges et inquiétants qui constituent la marionnette, c’est-à-dire ces mélanges d’humain et d’inhumain, d’animé et d’inanimé, de mort et de vivant.  Au moment même où une forme qu’on appelle marionnette, qu’elle soit anthropomorphique ou qu’elle soit un objet, parle ou émet un son, on est bien obligé de se poser la question :  « D’où ce son sort-il ? D’où cette forme parle-t-elle ? Et pourquoi elle le fait ? » À partir de ce moment, il me semble que, en tant que spectateur, je suis bien obligé, tout en entrant dans la démarche du spectacle,  de construire une sorte de topographie qui est, en même temps, visuelle et affective, émotionelle, de cette forme. À avoir, déjà, les premiers phénomènes importants de l’art de la marionnette qui consiste à élargir l’espace de la vision et aussi de l’émotion. On est obligé de ne pas s’arrêter à ce que l’on voit, on est obligé de faire une sorte de tissu entre ce que l’on voit et ce que l’on entend, du fait même que, entre l’image et le son, il y a tout ce terrain inconnu où le fait de l’approche du spectateur, sa participation et sa collaboration, deviennent extrêmement importants.

Mes points de départ sont tout à fait influencés par la démarche de Duchamp, même si cela peut paraître éloigné de l’univers de la marionnette. L’esthétique de Duchamp me paraît tout à fait fondamentale pour approcher l’art contemporain. Sans compter tous les problèmes de matières et d’utilisation de matériaux que Duchamp propose dans sa démarche, son point de vue, en ce qu’il consiste à dire que c’est le  spectateur qui fait l’œuvre, me paraît tellement fondamental et approprié pour le spectacle théâtral et de la marionnette en particulier, c’est à dire que cette collaboration du spectateur à ce qui se passe sur scène est d’autant plus fondamentale pour la création du moment que nous avons à faire à ce personnage étrange et hybride, qui est la marionnette, c’est à dire à quelque chose qui est humain, parce que nous projetons quelque chose de nous-mêmes qu’on n’arrive à visualiser et à comprendre que si elle nous est présentée de cette manière, à travers l’artificiel de quelque sorte. Cette relation entre le réel et l’artificiel, qui parfois est perçue comme un manque de la marionnette (très souvent on parle de la marionnette comme un acteur ‘moins’ quelque chose, un acteur moins les mouvements, moins l’autonomie, moins la voix), d’après moi, au contraire, ces ‘moins’ impliquent, suscitent une participation et une collaboration qui permettent au spectateur de retrouver ces parties qui ne sont pas prises en compte de cette manière, aussi large et aussi sensible, dans des formes théâtrales beaucoup plus fixées et où les rapports entre la réalité et la représentation sont davantage codés. D’après moi, dans le théâtre de marionnettes et dans l’utilisation de sonorités dans le théâtre de marionnettes, ce sont justement les codes et ces jeux entre le réel et la reproduction et l’imaginaire qui sont les plus fortement tissés entre eux et c’est pour cette raison, me semble-t-il, que l’approche de toute la partition sonore qu’un spectacle de marionnette implique n’est pas quelque chose situé à côté de la représentation elle-même, mais qui lui est intimement lié parce que ces sons nous parlent de quelque chose, visible sur scène ou invisible, et justement, pour ces deux raisons, le spectateur est bien obligé de les prendre en compte et d’élargir son point de vue.

On parle de la voix, donc on se pose la question : « D’où elle sort, cette voix ? » Dans les castelets traditionnels, la marionnette est au bout du bras du marionnettiste, mais sa voix sort d’en bas, donc il y a un déplacement entre ce que l’on voit et ce que l’on entend. Ce qui nous est donné à entendre vient d’une partie qui est souvent cachée ou alors, si elle est présentée, c’est quelque chose qui est en retrait. 
Le spectateur est situé entre les deux, et c’est ce « entre les deux » qui est le point intéressant, une position parfois incommode pour le spectateur qui est obligé lui aussi à parler et à entrer en communication dans cet espace assez étroit, mais c’est justement ça : on nous donne à voir quelque chose, on nous donne à entendre quelque chose, mais sachant bien que les vraies choses importantes se situent entre ces deux-là, il y a une bande de fréquence qu’on n’entend pas, mais c’est ceci qui fait arriver des choses en foule. Je pense que cette voix-là est la voix intéressante pour le spectateur que je suis.

Mais une voix implique aussi une langue. Quelle est la langue de la marionnette ?  Il y a les textes, évidemment, et tout ce vaste problème du texte pour marionnettes qu’on n’osera pas aborder ici. Mais c’est aussi une langue qui est visuelle, donc une langue du mouvement, et une langue de toutes ces sonorités que la marionnette, construite avec certains matériaux, fait sur scène. Les bruits sont une manière de manifester une présence. Dans le choix du rythme, de l’intensité, c’est aussi une manière d’indiquer l’intensité d’une présence, l’intensité d’une émotion.
Dans le théâtre de marionnettes, une énorme importance est donnée au bruit, à ces frottements de corps et même plus que ça : les coups de bâton, les têtes qui se frappent entre elles, tous ces bruits qui sont la caractéristique du théâtre de marionnettes. Il ne faut pas oublier que Polichinelle où beaucoup de marionnettistes utilisent la pratique, c’est-à-dire, la voix du montreur ne peut pas sortir telle quelle.  Pour s’adapter à ces corps imaginaires, il faut un son imaginaire, un son qui n’a rien de réel, une voix qui sert à communiquer autre chose. Et la pratique de Polichinelle est fonctionnelle à ce  personnage mortuaire, qui vient du royaume des ombres, des morts ; il parle une langue qui est un peu animale, comme les poulets, mais en même temps, il est quelqu’un qui parle une langue avec des sonorités autres, parce qu’il a vu d’autres choses, parce qu’il appartient à un autre univers. Polichinelle parle avec des bruits, des sonorités tout à fait incongrues, il ne dit rien d’une manière explicite, il est là avec des borborygmes, avec des cris, des sifflements, et c’était justement cette texture de sonorités de ce corps de Polichinelle que l’un des premiers critiques romantiques qui ont commencé à regarder le théâtre de marionnettes avec un œil moins condescendant a mis en relief. C’est Duranty qui dit, dans son Théâtre des marionnettes (1862), à propos du langage des marionnettes : « Le langage des marionnettes, avant même qu’on l’ait compris, forme à ces pam-pam, un accompagnement mystérieux des cris, d’exclamations : Ho ! ho ! ha ! ha !, gravés et retentissants comme le son des tambours : crr, brr auxquels aucune crécelle ne saurait le disputer. Hi ! hi ! pi ! rapides, aigus, comme les notes qui résonnent sur la chanterelle du violon.  Voix de perroquets, sifflets, aigres soupirs de clarinettes, chocs secrets et stridents du bois fendu, folies d’interjections et d’intonations, fureur de bataille (…) : voilà ce qui compose le charme, la fascination de ce spectacle vainqueur de toute hypocondrie. »

Dans cette description d’un spectacle de marionnettes traditionnel, Duranty est sensible à la partition sonore, à tous ces aigus, et en même temps, il parle de ce bois fendu, c’est comme si ces bruits inattendus, qui ne sont pas harmoniques, étaient une sorte d’indication d’une matière brute qui veut parler, qui veut dire qu’elle est là, et c’est à travers tout ça que le spectateur se trouve frère et cousin de ce qui se passe sur scène. Et donc ces bruits, ces sifflements, ces borborygmes, qu’on pourrait avoir tendance à considérer comme un langage d’enfants, de quelqu’un qui n’a pas encore atteint l’age de raison, qui ne sait pas dire, deviennent quelque chose qu’on n’arrive pas à dire et qu’on ne peut dire qu’avec ces bruits-là. Au lieu d’être quelque chose d’incompréhensible, on a l’impression que ces bruits disent quelque chose qu’on ne veut pas entendre.

Je pense que c’est à partir de ces considérations que tous les gros problèmes de la partition sonore du spectacle de marionnettes interviennent et prennent une signification. Si on considère que la marionnette, en tant qu’objet composé d’une partie du marionnettiste, du montreur et de l’objet, ou bien simplement un objet matière, qui a un langage en soi, et que tout cela parle d’une souffrance de la matière, d’une présence de la matière, des relations entre humain et non humain, artificiel et réel ou humain, quel est le rôle de la musique dans tout cela ? Est-ce un simple accompagnement, est-ce de la musique d’ameublement, quelque chose pour envelopper tout cela ? Est-ce de l’illustration ? Est-ce, au contraire, quelque chose qui appuie un des éléments fondamentaux dans le théâtre de marionnettes, c’est à dire, le rapport entre les corps et le mouvement, une manière de les souligner, de faire porter, par des sonorités, un contenu que la parole en  tant que telle n’arrive pas à compléter ? Ou alors, très souvent dans les théâtres de marionnettes, on a un théâtre purement visuel, qui déplace les contenus qui normalement sont portés par la parole vers des gestes ou des sons. Donc, on est là dans un contexte de tissage d’éléments qui tous mènent à poser cette question : de quoi parle la marionnette? En dehors du fait qu’elle soit une marionnette populaire, une marionnette sophistiquée, cultivée, etc., je trouve que la marionnette, en tant qu’objet, en tant que forme, parle de manipulation. Et manipulation non pas seulement parce qu’il y a une technique, mais, qu’elle soit anthropomorphique ou qu’elle soit un objet brut, parce qu’il faut que quelqu’un la manipule, que quelqu’un la bouge. À partir de ce moment, cette idée que la marionnette parle en soi, même si elle est immobile sans manipulation, me paraît être le pont entre la condition de la marionnette an tant que forme théâtrale et la condition du spectateur, c’est à dire, ce problème de la manipulation, être manipulée, être parlée par quelqu’un d’autre, devient, au-delà de l’utilisation ou de quoi le spectacle parle, une sorte de fond des problèmes que le marionnettiste assume, mais que le spectateur aussi perçoit.

C’est, donc, dans ce contexte que peut se poser le problème de la musique, enregistrée ou pas, car il peut y  avoir un choix  économique - il est plus facile d’amener sa propre musique plutôt que de déplacer tout un orchestre -, mais c’est un problème qu’on prendra à peine en considération, car je crois que les problèmes de la musique enregistrée pourraient devenir, au contraire, un élément porteur de sens au moment où on entre dans l’idée que c’est une musique jouée ailleurs et qu’on repropose, c’est à dire, il s’agit d’un espace ailleurs de la scène où l’on se trouve, qui amène un contenu, qui dit. Dans cette distance, il me semble pouvoir trouver une justification et une utilisation dramaturgique pour la musique enregistrée.

L ‘Iliade (Teatro del Carretto)
C’est une troupe qui a présenté ce spectacle où le parti pris a été celui de dire le texte de l’Iliade dans une traduction du XIXème siècle très scandée. Ça devenait une sorte de musique sur laquelle les personnages qui, à leur tour, étaient des personnages où les corps humains devenaient une sorte de statues antiques, disaient qu’ils étaient manipulés par les dieux. Personne n’est libre dans l’Iliade, parce que les divinités poussent les personnages à faire la guerre, à se tuer, mais à leur tour les dieux suivent ce que le destin a décidé. L’utilisation de la marionnette est tout à fait, du point de vue dramaturgique, un choix qui souligne cet aspect mais, de l’autre coté, ce poème scandé devient une sorte de fixation d’une tradition qui fait que tout cela ne peut être dit que comme ça, il n’y a pas d’espace pour une liberté du sentiment immédiat, tout est déjà réglé, la liberté de mouvements est très limitée.

L’IliadeL’enfant et les sortilègesL’utilisation des possibilités de la marionnette de jouer sur les proportions.

Oedipus rex, de Stravinsky
Le texte est en latin, donc là aussi il y a l’utilisation de la parole non pas comme parole qui a un sens direct, mais qui a une sonorité.

Cette utilisation du bruit comme parole, d’une certaine manière, qui est tout à fait dans une forme d’esthétique des avant-gardes, si on pense aux futuristes italiens qui ont inventé l’idée d’une musique qui n’est pas une harmonie mais qui, au contraire, met ensemble des bruits, soit provoqués, soit concrets. Par exemple, Batistelli, le compositeur italien contemporain, a fait un opéra à partir des sons des artisans qui étaient en bas de chez lui et qui travaillaient des tonneaux ;  c’était un bruit qui, ensuite, est devenu une partition pour un opéra. Il y a toute cette recherche d’un langage sonore qui trouve dans la marionnette une possibilité d’expression. Une recherche qui est parallèle à une recherche d’écriture théâtrale qui fait que, comme on a besoin d’un acteur différent sur scène, il faut trouver une écriture différente.  Le personnage, dans le théâtre contemporain, n’est plus aussi « réaliste » qu’on pouvait l’imaginer jusqu’à maintenant ; on est en train de trouver une forme d’écriture qui n’est plus l’écriture théâtrale traditionnelle, avec des répliques, des personnages, mais qui est un mélange des genres et qui fait recours soit à la partie humaine, reconnaissable, soit aussi à des parties méconnaissables, méconnues qui ont besoin d’un autre langage, d’une autre forme, portés par la musique, par les côtés visuels, scénographiques et les objets. Je pense que, dans la musique, c’est aussi la même chose, et que l’intégration du bruit concret est aussi un élément qui fait partie de cette partition.

Je voudrais terminer avec ce mot qui est utilisé par Kantor à propos de ses spectacles, lorsqu’il disait : « je dois faire la partition du spectacle ». Il ne parlait pas en termes de texte et de musique, il parlait de partition et dans cette partition, il y avait les textes des comédiens, mais il y avait aussi les bruits que leurs corps faisaient sur scène, c’est à dire qu’il calculait le bruit des pas, l’intervention de la musique, le ton de la musique, la musique enregistrée ou faite directement sur scène, et tout cela était la partition. Donc, la parole, de cette manière, n’était plus le seul porteur de sens, mais était un élément parmi d’autres auquel, apparemment, et d’habitude, on n’attribue pas une valeur de signification, c’est à dire : les bruits s’opposent à la parole, mais voilà que les bruits, eux aussi, disent quelque chose. Dans une partition où la parole, les bruits et les sons sont calculés, on peut jouer du point de vue dramaturgique entre ces éléments qui font partie de la réalité où nous sommes plongés.

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